L. Burnand: Les pamphlets contre Necker

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Titel
Les pamphlets contre Necker. Médias et imaginaire politique au XVIIIe siècle


Autor(en)
Burnand, Léonard
Reihe
L’Europe des Lumières 2
Erschienen
Paris 2009: Éditions Classiques Garnier
Anzahl Seiten
409 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von
Roger Francillon

Parmi les grandes figures helvétiques qui se sont illustrées à l’étranger, Jacques Necker est un des personnages les plus controversés de l’histoire de la Révolution française. Léonard Burnand, qui lui a déjà consacré un ouvrage (Necker et l’opinion publique, Paris: Champion, 2004), analyse ce personnage à travers les pamphlets dirigés contre lui tout au long de sa carrière politique.

Le premier mérite de cette brillante thèse de doctorat – dont les qualités d’écriture sont remarquables – est de faire connaître tout un pan inconnu de la littérature du siècle des Lumières. Dans la ligne d’un Robert Darnton qui avait naguère redécouvert une très riche littérature clandestine, Léonard Burnand a mis au jour de nombreux textes inconnus qui éclairent non seulement les réseaux politico-financiers de cette époque, mais qui permettent une réflexion plus générale sur les formes et la nature d’un imaginaire politique contrastant avec l’image du siècle où devait triompher la raison.

L’ouvrage, enrichi d’une iconographie et d’une bibliographie imposante, est divisé en 5 parties, les 4 premières suivant les différentes étapes de la carrière de Jacques Necker, de son entrée en politique à sa disgrâce en 1790, la 5e décrivant la postérité des pamphlets antineckeriens auxXIXe etXXe siècles. En publiant en 1773 l’Éloge de Colbert dans lequel Necker peint le ministre des finances idéal, puis en 1775 ses réflexions Sur la législation et le commerce des grains, le banquier devait s’attirer les foudres de ses adversaires, particulièrement des hysiocrates. Ce grand succès éditorial déclenche la rage de Condorcet, proche de Turgot ou celle de l’abbé Baudeau qui reproche à Necker de vouloir s’en prendre aux propriétaires et ébranler ainsi les bases de la société. De cette controverse – à laquelle participent aussi l’abbé Morellet et mêmeVoltaire – Necker sort vainqueurmalgré toutes les attaques. Le 22 octobre 1776, il est appelé par Louis XVI à la direction du Trésor royal, en remplacement de Turgot disgracié.

La deuxième partie de la thèse est consacrée à la «cabale antineckerienne des années 1780-1781». Les réformes mises en place par Necker au cours de son premier ministère (1776-1781) provoquent de violentes réactions de la part des nobles et des financiers qui se sentent menacés dans leurs privilèges. Dans un premier pamphlet dû à la plume d’Augeard, fermier général et secrétaire des commandements de la reine, Necker est attaqué sur plusieurs plans: son protestantisme en fait un individu suspect de vouloir favoriser ses coreligionnaires; son statut d’étranger le rend inférieur au dernier des fermiers généraux, ses origines genevoises en font un républicain qui n’a pas sa place dans une monarchie. En outre,Necker est banquier: à la différence des «financiers» qui sont des officiers du roi, les banquiers sont liés au commerce international et par conséquent suspects de manque de patriotisme. Mais le pamphlet le plus fielleux contre Necker sort de la plume d’Isaac Panchaud, banquier suisse né à Londres, ayant une rancune tenace contre son confrère depuis qu’ils s’étaient opposés à propos du sort de la Compagnie des Indes. Ce pamphlet, intitulé Lettre à M. Necker, directeur général des finances, et connu sous le nom de La Liégeoise, parce qu’imprimé à Liège, met l’accent sur le passé douteux de Necker avant son accession au pouvoir. Mais Louis XVI continue à donner son appui à son ministre et celui-ci en profite pour publier en février 1781 son Compte rendu au Roi, qui remporte «un succès phénoménal», dû aux révélations qui s’y trouvent sur les pensions pharaoniques versées par la Couronne à un petit nombre de privilégiés; la riposte de ceux-ci ne se fait pas attendre: parmi les adversaires duministre, outre Bourbalon, trésorier du comte d’Artois etAugeard traitant le Compte rendu de conte bleu, Calonne, qui vise le poste de contrôleur général, parvient à discréditerNecker en feignant de le considérer comme «la lumière de son siècle».

Dans la troisième partie intitulée «le héros assiégé», Léonard Burnand suit Necker de son renvoi en 1781 à son retour au pouvoir et son triomphe de l’été 1789. Malgré sa retraite, le ministre ne reste pas inactif et publie à Lausanne, en 1784, De l’administration des finances de la France. Succès triomphal, célébré par le camp Necker,mère et fille en tête, et qui provoque immédiatement les réactions hostiles des adversaires: avis au public, chansons satiriques précèdent des réfutations plus détaillées. Un nouvel adversaire de taille va entrer dans l’arène: Mirabeau qui publie une Dénonciation de l’agiotage,mettant en cause le banquierNecker et le rendant responsable de la fièvre spéculative qui s’est emparée de la France. En 1788, Necker publie De l’importance des opinions religieuses qui doit donner de lui une autre image que celle du financier, celle d’un homme sensible, soucieux du bien public. Ce texte lui vaut des réactions hostiles aussi bien du côté catholique que du côté des libres-penseurs. Rivarol qui n’apprécie pas le style pompeux du ministre développe la thèse moderne que l’on peut avoir une solide morale sans être lié à une religion. C’est dans ce contexte que LouisXVI se résout à contrecoeur à rappelerNecker en août 1788. Cris de joie, feux d’artifice et estampes célèbrent ce retour au pouvoir. Necker peut savourer son triomphe le 5 mai 1789 lors de l’ouverture des États- Généraux. Mais son long discours de trois heures lui vaut une série de pamphlets de tous bords et le 11 juillet il est renvoyé par le roi. Départ pour Bâle d’où il est rappelé et retour triomphal à travers la France. Mais une année après cette apothéose, discrédité, il doit quitter le ministère et s’exiler dans son château de Coppet.

Ce revers de fortune – qui fait l’objet de la 4e partie du livre sous le titre «l’idole brisée» – résulte du décalage entre la conduite du Directeur général et la tournure prise par la Révolution. Les réquisitoires de plus en plus calomnieux se succèdent: la Dénonciation faite au tribunal du public par M. Marat l’Ami du peuple, contre M. Necker, premierministre des finances est d’une telle violence que le publiciste ne trouve aucun imprimeur et devra créer sa propre imprimerie.Marat trouve un allié en la personne de Jean-Jacques Rutlidge, dont L’astuce dévoilée est une biographie scandaleuse du ministre et de la belle Curchod, rebaptisée Cuchaud. Mais le plus enragé n’est autre qu’Hébert, réclamant la pendaison du ministre qui a trahi le peuple. Du côté des royalistes, bien que Necker se soit opposé à la suppression des titres nobiliaires, les critiques ne sont pas moins vives. L’idole est brisée, et Necker, retiré à Coppet, se défend dans Sur l’administration de M. Necker, par lui-même,montrant combien les libelles ont réussi à le «dépopulariser».

Cette image noire du banquier-ministre – dont la fortune aurait une origine criminelle et dont les idées économiques seraient creuses – lui survit aux XIXe et XXe siècles. Dans cette dernière partie de sa thèse, Léonard Burnand montre avec subtilité la persistance de cette image chez de prétendus historiens comme l’abbé Lavaquery, chez le dramaturgeWalterWeideli dont Un Banquier sans visage fit scandale à Genève en 1964, ou encore chez la romancière Françoise Chandernagor dans L’Enfant des Lumières dont l’adaptation télévisuelle fut un énorme succès.

Au terme de son étude, Léonard Burnand met en lumière l’extrême diversité des formes que revêt le pamphlet au siècle des Lumières et montre comment l’accumulation et la répétition des mêmes clichés aboutit à un véritable «lynchage médiatique». Il souligne également l’importance de l’intertextualité entre les divers supports de la littérature polémique, dessinée ainsi en creux à travers les pamphlets antineckeriens. Ceuxci sont producteurs d’un imaginaire très riche: l’étranger, le protestant, le banquier, le roturier, le parvenu, le charlatan, le conspirateur. Cette accumulation d’images négatives explique que le personnage ait pu devenir un bouc émissaire dans cette période agitée de la Révolution. Mais Léonard Burnand précise que dans cette masse de libelles, constituant une part importante de la production littéraire du XVIIIe siècle, il faut distinguer les textes de caractère argumentatif qui combattent les idées de Necker et les attaques ad hominem qui reposent sur la calomnie. C’est cette contamination des textes qui en a fait la force parfois explosive et c’est le grand mérite de Léonard Burnand de les avoir exhumés des archives et des bibliothèques pour leur redonner l’importance qu’ils méritent dans la recherche historique. Pour cette analyse des pamphlets, il s’est toujours efforcé de ne pas détacher ces textes de leur contexte, afin d’inscrire ces ouvrages dans un champ culturel précis et de mettre en lumière leurs conditions de production et de réception. Il a pu ainsi habilement mettre en relation ces opuscules antineckeriens avec les autres supports de l’information, tels les gazettes, estampes, chansons, nouvelles à la main qui jouaient pour tous ces libelles le rôle de caisse de résonance. Enfin le résultat le plus intéressant de ce travail si riche est de montrer par quelle «imagerie inquiétante» les pamphlétaires ont cherché à détruire le mythe du ministre éclairé pour y substituer l’image noire du banquier affairiste, image qui lui est restée attachée jusqu’à nos jours.

Citation:
Roger Francillon: Compte rendu de: Léonard Burnand, Les pamphlets contre Necker – Médias et imaginaire politique au XVIIIe siècle, Paris, Garnier, L’Europe des Lumières 2, 2009. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 118, 2010, p. 290-291.

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29.06.2012
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